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L’ode à la nature

Il y a de la musicalité dans le travail de Claire Damon. Une composition d’une grande finesse avec chaque gâteau, fruit d’une recherche à la fois sensuelle et technique, où le goût se fait écho d’une mélodie secrète comme le murmure d’un ruisseau ; cette nature vivante où elle a grandi et où elle puise toute sa créativité et son inspiration. Une chef sensible, engagée et libre, qui revient sans cesse à l’essentiel, loin de la médiatisation à outrance, afin de centrer son action sur le produit et le respect des saisons. Pour nous offrir une pâtisserie poétique et vraie à son image, qui, au-delà d’un délice gourmand, devient un bienfait qui célèbre la vie.

La nature et les gâteaux

Claire Damon est née en Auvergne. “Ce détail est important, parce que mon amour pour la nature et le végétal, le respect des produits et tout ce qui en découle, vient de là.” Son père ingénieur et sa mère dans la fonction publique, travaillaient à Clermont-Ferrand. Donc on ne cultivait pas la terre !” En revanche, ses arrières grands-parents avaient une exploitation de polyculture depuis plusieurs générations. Ils cultivaient des fraises, d’une très belle manière ; une variété particulière qu’ils envoyaient à Paris, comme certains champignons, cueillis à la main. Aussi, toutes ses vacances, Claire les a passés loin de la ville, à Orcival. “Les forêts, les ruisseaux, les lacs et les cascades, tous ces moments passés au plus près de la nature ont formé mon palais et ma sensibilité.” Très vite elle s’initie à la cuisine dans la maison de ses arrière-grands-parents, car on y préparait de grands repas, sous le signe du partage et de la convivialité. “La table était immense, et tout était démesuré, que ce soient le four en bois ou les ustensiles de cuisine !” Claire restera marquée par ces odeurs : les plats de légumes notamment, avec les herbes fraîches et les aromates comme le persil ou l’ail, ou le bon goût des châtaignes et les gâteaux aux noix.

Il n’y avait que quatre hameaux au milieu des bois, mais avec du passage toute la journée.” C’est au milieu de cette ambiance chaleureuse, qu’elle apprendra à faire un gâteau, comme une offrande. “Les bergers passaient boire le café, puis le facteur et la voisine qui ramenait des cèpes, et encore un autre qui venait porter des prunes et des œufs.” Sans avoir encore la perception mercantile, elle a alors envie d’ouvrir sa boutique. Et à l’âge de 8 ans, elle confectionne toutes sortes de tartes aux fruits et de viennoiseries, en pâte à sel et avec une couche d’argile trouvée dans la forêt. “Je les faisais sécher puis je les peignais, pour jouer ensuite à la marchande de gâteaux.” Une vocation qui ne la quittera plus !

Maîtriser la technique

La jeune Claire poursuit alors ses études en cuisine dans sa région, auprès d’un établissement étoilé au guide Michelin. “Suite à cela, j’ai voulu présenter le concours des Meilleurs Apprentis de France.” Et, pour la première fois de sa vie, elle monte à Paris pour passer le concours. Elle a alors 19 ans. “Ma mère voulait m’offrir une visite dans toutes les pâtisseries parisiennes : Gérard Mullot, Fauchon, Lenôtre, Jean Millet et Pelletier.” Elle goûte ce jour-là un macaron à la vanille chez Fauchon, où officiait à l’époque le jeune Pierre Hermé. “J’ai trouvé les ingrédients extraordinairement bons. Et je me suis écriée : c’est là que je veux travailler !” Elle le suivra chez Ladurée pour son apprentissage, et restera à ses côtés trois ans. “Un homme réservé, mais plein de convictions, qui m’a montrée de nouvelles portes en pâtisserie.” C’est là notamment qu’elle abordera le goût et la construction d’un gâteau, en mettant le produit au centre. Se l’approprier, tout connaître de ses origines, de sa provenance, pour marier les textures et construire des alliances.

Après les boutiques, Claire rejoindra quelques années l’hôtellerie de luxe, avec Gilles Marchal au Bristol et Christophe Michalak au Plaza Athénée. Elle y perfectionne sa technique comme en solfège, et découvre les desserts à l’assiette. Fascinée par les arrivages et la qualité des produits utilisés alors en cuisine, elle nourrit intérieurement le désir d’en faire autant en pâtisserie. Ce sera chose faite en 2007. Après un an de transition à l’hôtel Costes, la talentueuse pâtissière ouvre avec son associé boulanger David Granger, une première boutique : Des gâteaux et du pain. Elle va pouvoir enfin exprimer tout son art dans une gamme personnelle, avec une pâtisserie réinventée.

La passion du goût

Claire Damon part toujours d’une émotion ; “une sensation, ce qui me nourrit intérieurement, pour créer avec exigence et gourmandise, des gâteaux pointus et structurés. “C’est pour cela que j’ai laissé les macarons aux passionnés, et le chocolat aux chocolatiers !” Sa façon d’aborder le métier est de travailler ce dont elle a envie, et non ce qui rapporte le plus. Puis, de créer pour les autres, avec la satisfaction de voir sourire ses clients. Les délices de la maison dénotent par leur fraîcheur, un goût extrêmement franc et des saveurs toujours justes, ni trop grasses, ni trop sucrées, qui subliment les fruits et les plantes ; ces végétaux qui ont marqués son enfance passée dans la moyenne montagne, “là où les couleurs sont si vives et contrastées. On cueillait les myrtilles sauvages à la même période où l’on coupait le foin dans les prairies, et cette odeur est restée gravée dans ma mémoire !” Elle va ainsi créer une tarte aux myrtilles « Initiales CD », avec l’odeur particulière du foin coupé, en utilisant la coumarine, présente dans la flouve odorante et le mélilot, et des myrtilles sauvages cueillies dans sa région. Son secret : éviter de sophistiquer à outrance, pour obtenir un juste équilibre de goûts et de textures, ce qui est parfois extrêmement compliqué.

Puis se centrer constamment sur l’essentiel : le goût, en allant chercher les produits les plus authentiques et en respectant la nature et les saisons. “C’est là qu’on perçoit la différence et la vraie valeur des choses.” Le goût est alors vrai, simple et immédiatement reconnaissable, ce qui le rendra aussi mémorable. Et tant pis si les créations se présentent parfois dans une gamme presque monochrome. “Au départ, j’étais atterrée ; mais en y réfléchissant, j’ai compris que ce camaïeu est le résultat de ce que la nature nous offre et elle sait ce dont on a besoin !”Ainsi, au mois de janvier, il y a là toutes sortes d’agrumes : « l’Absolu citron » donc du jaune, « le Saint Honoré à la mangue » qui est jaune orangé, et « le Cachemire » avec le safran et l’orange marquée, pour revigorer le corps à la sortie de l’hiver. En octobre, ce sont les textures de pâte de marron, les odeurs typées des châtaignes, les noisettes avec ses notes torréfiées, “et finalement exactement ce qu’on a envie de consommer pour se réchauffer”.

Encore plus d’authenticité

Avec une deuxième boutique, rue du Bac, Des Gâteaux et du Pain poursuit son chemin dans l’excellence. Loin des médias, Claire préfère s’investir dans la qualité, en cherchant des partenariats avec des producteurs locaux, pour travailler les meilleures matières premières. “C’est le prolongement de la nature que je veux continuer dans mes gâteaux ! Et j’ai cette liberté aujourd’hui qui me permet d’agir selon mes convictions.” Tous les fruits sont d’origine biologique et viennent des régions spécifiques, “car un citron de France n’a pas le même goût qu’un citron de Sicile. Les myrtilles sauvages sont cueillies à la main en Auvergne, ainsi qu’une partie des plantes et fleurs utilisées dans les recettes. Les fraises sont en projet pour être livrées depuis une productrice en Sologne. “Pour le beurre, c’est chose faite ce matin ; et nous allons travailler avec des vaches rustiques de moyenne montagne, qui donnent beaucoup moins de lait que les Prim’Holstein, mais de très bonne qualité.” Les amandes enfin, proviennent aussi de coopératives locales, avec les rares exploitations d’amandiers français. Dans ces conditions, le développement à l’international n’est pas encore d’actualité pour la Chef, malgré les sollicitations. Elle continue d’innover dans la création, avec son prochain défi : des gâteaux nouveaux, ni tartes, ni entremets, dont le support pourra se consommer. “Les tests sont concluants et nous allons commercialiser cela bientôt !

Au-delà de son métier, c’est une philosophie de vie que Claire Damon nous donne à voir pour notre monde moderne : redevenir libre de nos choix pour consommer des produits sains, comme avec la haute-pâtisserie fruitée qu’elle propose. Car nous devenons ce que nous mangeons et à travers la nourriture, c’est la nature qui s’exprime et devient notre respiration. Alchimie du goût, symbiose avec le vivant, authenticité de l’être… Chez cette passionnée, les gâteaux deviennent des écrins de bienfait, pour le plaisir et la santé.

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 22 février 2018 – Tous droits réservés.

Lien vers le site de Des Gâteaux et du Pain

Galerie photos de Claire Damon

L’authenticité selon Claire Damon, la pâtissière qui célèbre la vie

“ Le vrai luxe pour moi, c’est le lien avec la nature. Cette nature qui est authentique par son essence même, et qu’on ne peut pas dompter. Chaque fois qu’on essaye, on se rend compte que l’on a fait fausse route. Il suffit de voir en ce moment tous les scandales alimentaires, toute cette malbouffe que nous produisons dans nos sociétés urbaines et qui empoisonne nos vies. Car nous devenons ce que nous mangeons. Et il est important pour moi de nourrir mes clients comme je me nourris moi-même. C’est vrai, nous ne sommes que des pâtissiers et non des médecins, mais on doit aussi s’interroger sur la qualité et la provenance des produits et agir à notre échelle. Au-delà du goût retrouvé, c’est tout le don de la nature qui s’offre à nous et l’on retrouve la gratuité que l’on avait perdue en cherchant à la dominer. Se couper de la nature, c’est donc se couper de nous-mêmes, et de la vie qui coule en nous.

J’ai compris cette vérité quand j’ai expérimenté il y a quelques années la communication avec la presse. Au mois de juin, il était prévu de faire goûter les bûches de Noël. Autant celles-ci étaient finalisées au niveau de la création, autant il était impossible d’imaginer quel en sera le goût final, six mois à l’avance. Mes producteurs sont incapables de me dire s’il y aura de la rhubarbe ou pas, à ce moment-là, ou tel autre fruit. C’est la nature qui décide ! Et s’il a plu ce jour-là, il faudra aussi reporter la cueillette. Alors j’ai compris que je ne pourrais pas rentrer dans le système en voulant vivre au rythme de la nature. Et cela, les clients le comprennent très bien : qu’un dessert vienne à manquer dans la gamme car on n’a pas été livré de fraises, de framboises ou de citrons. Pour un chef d’entreprise, c’est un chemin exigeant car il implique de prévoir, mais sans vouloir contrôler. Si je me mettais à fabriquer dix fois plus de gâteaux, et avec toutes sortes de fruits quelle que soit la saison, je serais constamment dans les concessions qui dénaturent mon travail et ce ne serait plus le même métier. L’authenticité est donc à ce-prix-là. Vivre selon ses convictions pour créer quelque chose qui soit vraiment sur mesure et qui respecte les lois de la nature. Et pour les consommateurs, le premier acte à poser est dans les achats. Par exemple, d’arrêter de croire que c’est plus cher de consommer autrement. Il y a une telle satisfaction en terme de goût que la satiété vient aussi plus vite et on se fait du bien. Puis revenir aux repas pris en famille ; ces moments privilégiés où l’on cuisine avec son conjoint, avec ses enfants, et qui resteront gravés dans nos mémoires. Il faut leur ouvrir les yeux !

La création dans mon métier est un cheminement intellectuel, mais c’est aussi quelque chose de sensuel, qui se vit avec les cinq sens, car c’est là qu’on stimule sa créativité pour défricher de nouvelles voies. Et j’ai un vrai besoin de toucher, de façonner de mes mains et d’être en contact avec les matières. Avec l’expérience, je constate alors que moins j’écoute mon égo, plus je suis ouverte à ce que les gens recherchent vraiment, et à mes propres désirs. Et ce qui nous fait vibrer, ce sont les essentiels : le goût juste, les choses simples qui tombent bien. Cette simplicité n’étant pas toujours évidente à créer, car elle nécessite de s’affranchir du regard des autres, du qu’en dira-t-on : utiliser deux saveurs par exemple, ou des fruits qui ne sont pas parfaits… Et pourtant, le défaut pour moi est une qualité, car la nature n’est pas parfaite. C’est en acceptant cette réalité que l’on devient de plus en plus soi-même et dans une relation authentique avec les autres. Un autre point est qu’on ne peut faire ce métier uniquement pour se faire plaisir ; C’est quelque chose qui se donne aux autres et se partage. J’ai donc choisi d’en faire mon chemin de vie et j’évite pour cela toute la mise en scène sur les réseaux sociaux, où on se déconnecte du moment présent pour une surenchère l’exceptionnel.

Pour être authentique, il faut se respecter et avoir cette liberté intérieure, en toutes circonstances. Par exemple, si vous me demandez la nouveauté du moment, une information croustillante, je n’en ai pas. Par contre, je vous dirai que j’ai vécu un moment formidable il y a quinze jours, quand j’ai traversé les intempéries et la neige, pour aller rencontrer un producteur de beurre à 1800 m d’altitude. Des gens simples qui nous ont reçus dans leur maison, prêt d’une clinique vétérinaire où les veaux rentrent et sortent comme chez eux. Puis, le goût de ce vieux Cantal, de deux ans d’âge, qu’ils ont ramené de leur réserve personnelle, pour le déguster ensemble. C’est cela le vrai luxe pour moi, des moments à part qui donnent du sens à l’existence, en quelque sorte la cerise sur le gâteau ! ”

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 22 février 2018 – Tous droits réservés.

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