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Le céramiste tourneur de vies

Ses pyramides des âges ont fait chavirer les cœurs et couronner des années de labeur. Prix Bettencourt 2010, Claude Aïello est un céramiste tourneur… de vies ! Celles des peuples de nations qu’il a façonné de ses mains sous forme de jarres démographiques ; celles de ses deux frères cadets qu’il a formés au métier ; celles des designers du monde entier pour lesquels il va créer des pièces uniques et de toute beauté ; celles enfin des étudiants et professionnels qu’il oriente dans leur passion pour devenir à leur tour des tourneurs d’objets d’art. Avec une grande humilité et une maîtrise géniale de son savoir-faire, Claude l’artisan continue d’innover dans son atelier de Vallauris, en repoussant toujours plus loin les limites de son art pour faire naître, sous nos yeux, des œuvres vibrantes.

L’aîné qui montre la voie

Claude Aïello est issu d’une famille de trois générations de céramistes d’origine italienne. “Je suis l’aîné de 7 enfants. Mon grand-père était céramiste. Mon père l’est devenu aussi et sa spécialité était les fours à bois.” A l’âge de 13 ans, il arrive en France pour suivre son père qui s’installe à Vallauris et se met à son tour à la céramique “car il fallait bien travailler.” Mais il est attiré dès les débuts par le tournage et comment à partir d’une boule de terre, on peut créer une forme ! Son père en parle à son employeur et sitôt qu’ils trouvent un tour, ils l’installent pour lui. “Plus tard, mon père m’a même acheté un tour à pied qui est toujours dans ma cave.” Il commence alors son apprentissage dans une usine traditionnelle de faïence, et va se former avec plusieurs céramistes tourneurs de Vallauris. L’un d’eux, Jacques-Fernand Orsini (Meilleur Ouvrier de France) deviendra un Maître pour lui et lui inculquera le goût du métier. “Il m’a appris à créer et sortir des sentiers battus pour trouver ma propre voie.”

Au départ pourtant, son orientation restera classique. Il se met à son compte en 1974 pour façonner une production locale, “essentiellement des marmites et des ustensiles de cuisine.” Mais les commandes affluent et il va faire un virage à 180 degrés. Alors même qu’il pense agrandir son atelier en installant un séchoir, son épouse lui suggère de se tourner vers les pièces uniques et les séries limitées. “Je ressentais de la lassitude et mes frères venaient de partir. Du coup, je me suis plus orienté pour de bon vers le tour, qui est l’outil de création par excellence.” Et c’est de là, dans les années 80, qu’il démarrera sa collaboration avec Orsini et les designers.

Le céramiste des designers

Très vite, il élabore des pièces uniques et sur-mesure. Curieux de tout et grâce à ce courant de lanceur de tendances, Claude Aïello va travailler des couleurs et des formes à la mode. Le succès arrivera en 1998 avec l’opération « Deux designers à Vallauris » lancée par le ministère de la Culture et de la Communication. “L’objectif était de mettre en valeur le savoir-faire des artisans locaux et construire de véritables alliances pour renouveler la production de faïences.” Ronan Bouroullec et Frédéric Ruyant vont l’appeler et le succès est immédiat. Suivront de nombreuses collaborations et le couronnement de son savoir-faire en 2010, où il décroche le prix Liliane Bettencourt pour L’intelligence de la main.

Le summum de son art est résumé dans ces œuvres prisées. Il l’avoue lui-même : “Je n’aurai jamais pu faire cette création dix ans auparavant.” Et il va stresser pendant 5 mois en surmontant toutes les difficultés. Le projet s’intitule « The Age of the World » avec le designer Mathieu Lehanneur : une série de pièces modélisant en 3D les pyramides des âges des populations de différents pays comme la France, les Etats-Unis, le Japon, la Russie ou l’Egypte. Chaque pièce pèsera 100 kg au final et seront toutes tournées à la main, sans aucune intervention de machines. Une prouesse à chaque étape de fabrication ! Aussi bien dans le dosage des matériaux pour résister au refroidissement, le tournage lui-même et le façonnage. “Pour réaliser cette partie-là, j’ai pris 36 kg de terre presque 2 sacs. Je l’ai faite à l’envers sur un plateau, et une fois retournée, il y a un retour à l’horizontale qui est très difficile.” Claude Aïello fait alors comme un châssis à l’intérieur pour faire tenir la pièce si lourde. “Je n’avais jamais fait cela de ma vie et j’ai appris malgré toutes les années d’expérience.” Au final, des pièces d’une beauté saisissante, avec une précision d’exactement 100 strates, posées toutes là dans l’atelier. C’était féérique ! Et tous vont l’inciter à présenter ces pièces au concours, en plus de la Biennale de Vallauris qu’il emportera. Mais le plus beau souvenir pour Claude, c’est son ami peintre auvergnat qui les voyant, va pleurer. “Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde mais je ressens sa présence bienveillante dans l’atelier.” Et là, c’est son ami artisan qui est ému aux larmes…

Le plaisir de créer

Le plus important pour le maître-céramiste est de créer, et cette source se trouve dans toutes les étapes du métier. Et garder le même émerveillement, “car c’est toujours magique pour moi, après 45 ans de pratique, de me remettre sur le tour et perdre la notion du temps en donnant naissance à des objets. ”Pour cela, il faut exercer jusqu’à maîtriser le façonnage, le séchage, les contraintes du feu et de l’enfournage sans se décourager. Et connaitre tous les paramètres et les différents types d’argiles : les terres rouges, marrons ou blanches, “sans parler de l’émaillage avec des couleurs et matières différentes.” Il y a une grande patience à acquérir car ce métier s’apprend avec la persévérance et la passion, et “il faudra au moins 8 ans d’expérience avant d’éprouver du plaisir.”

Aujourd’hui, la magie s’opère car Claude reconnaît humblement pouvoir créer toutes les formes. Ce céramiste d’art façonne des pièces uniques et trouve sa joie dans la réussite. Sa maîtrise fait de lui un des rares artisans à pouvoir tourner des pièces de grandes tailles. “Avec chaque projet, j’ai un défi à relever et je suis satisfait quand la pièce est finie.” Claude Aïello poursuit sa collaboration avec les designers de tous horizons, et ose des associations atypiques comme le textile et la céramique, par exemple. Il a aussi des modèles qu’il a dessinés pour une collection personnelle. “J’ai fait un beau guéridon récemment.” A chaque fois, de manière inspirée, avec des formes résolument modernes, qui apportent innovation et créativité.

Transmettre et donner envie

A Vallauris, capitale mondiale de la céramique, Claude Aïello continue de créer, avec le génie d’un Picasso valorisant une longue lignée de tradition potière. “Ce métier remonte à l’époque gallo-romaine !” s’exclame-t-il fièrement… “Un client m’a même montré une amphore locale datant de 2.500 ans avant JC.” L’entreprise est désormais classée au Patrimoine Vivant et il enseigne toutes les semaines dans une école d’art, et conseille sans relâche pour transformer le métier et pérenniser les vocations. “Il y avait près de 32 fabriques au milieu du 19ème siècle qui ont disparues, mais la poterie continue en évoluant vers la céramique artistique.” Un savoir-faire ancestral et un besoin d’innover qu’il transmet dans ses cours de perfectionnement en encourageant à mettre sa personnalité dans son savoir-faire, corriger et repartir pour trouver son mode d’expression et sa touche personnelle.

Son élément est la terre. Sa forme : la rondeur, et il est chez Claude Aïello une grande fécondité maternelle. Sensible et généreux, il respire en abondance la simplicité et une grande ouverture aux autres depuis son petit atelier de Vallauris. Car là, il a fait ses armes et là, il a choisi de devenir céramiste d’art, pour être précurseur d’un métier qui se vit désormais avec les autres. Son intelligence manuelle hors normes et la totale maîtrise de son métier lui donnent aujourd’hui d’être acteur, incubateur, inspirateur et compteur de vies, pour donner envie, en apprenant à tourner et retourner à l’essentiel : l’origine de la vie.

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 22 juillet 2017 – Tous droits réservés.

Galerie photos de Claude Aïello

L’authenticité selon Claude Aïello, le céramiste d’objets d’art

“ On se doit d’être authentique aujourd’hui car le métier a changé ; la relation client aussi. Avant, on devenait potier dans la pure tradition avec la production de petites séries dans le culinaire et l’utilitaire : des tasses à café, des marmites, des verres d’orangeade… C’était un vrai savoir-faire et cela répondait aussi à une demande, avec les cadeaux notamment pour toutes les occasions : le repas chez la grand-mère, le mariage d’une voisine, les étrennes de la concierge. Aujourd’hui, tous les clients sans exception, veulent une pièce personnalisée, adaptée à leurs besoins et leurs goûts. Ils sont aussi devenus très exigeants, étant prêt à payer le prix pour une pièce qui leur plaît, et c’est d’ailleurs souvent un achat plaisir pour soi-même ou pour offrir. On est donc dans le sur-mesure et la co-création de pièces uniques, ou du moins en petites séries. La relation est devenue par conséquent plus artistique et émotionnelle ; c’est pourquoi on se doit d’être vrai et authentique.

Cette transformation du métier a des conséquences sur l’économie locale. Il y avait 130 fabriques à Vallauris quand j’ai débuté. Aujourd’hui, c’est une remise en cause de la ville et de la profession. Le métier de céramiste perdure mais la difficulté est de se faire connaître et sortir du cadre. La voie est alors la création et on se doit pour cela de maîtriser le métier, bien plus que par le passé. La collaboration avec les designers est une réussite car ils sont constamment à l’affût des tendances et des nouvelles idées. Le métier devient donc beaucoup plus élaboré et passionnant pour celui qui est inventif, et se remet en question en permanence avec chaque nouveau projet. C’est ce que j’aime aussi et le plus bel exemple fut mon travail avec les pyramides des âges. Je ne savais pas si j’y arriverai, mais j’étais le seul à avoir relever le défi ; et j’ai baigné dans les difficultés techniques nuit et jour pendant 5 mois, en trouvant des solutions avec mon expérience. Au final, ce fut des pièces étonnantes qui résument tout le savoir-faire d’une carrière et d’un métier. J’ai encore la première pièce, la pyramide du Japon, qui est sortie cassée du four au moment du refroidissement et je la montre en exemple à mes élèves pour leur perfectionnement.

Mon regard sur la société de consommation reste optimiste car, même si la plupart des clients cherchent aujourd’hui la facilité, il y a encore une clientèle qui privilégie la qualité. C’est vrai qu’il y a une perte de valeur par rapport aux objets. Beaucoup de jeunes n’attachent plus d’importance au service de table venant de leur grand-mère par exemple, et qu’ils garderont toute leur vie après leur mariage. Cette tradition est remplacée par le plaisir dans l’immédiateté. Mais il y a aussi un retournement et je sais que le beau travail, comme un beau bijou, trouvera toujours preneur. Peut-être est-ce dû à la situation économique actuelle… Une pièce unique a une valeur affective inestimable et on la gardera toute une vie. C’est pourquoi, je crois que le monde investira de plus en plus dans l’authenticité. Il y a un ami qui m’a fait faire un cadeau récemment, pour un acteur de cinéma aux Etats-Unis. Je lui ai tourné un plat qui est lié à son métier, avec écrit dessus son nom et une phrase de Cocteau.

Si je suis authentique, c’est grâce à mon métier. Je passe des heures dans mon atelier et pour faire grandir cette passion, j’ai dû faire abstraction de beaucoup de choses pour ne garder que le meilleur et l’essentiel. Aussi, je me sens plus près de la valeur humaine, du respect de la personne et de la relation, que des apparences et des jeux de rôles. La terre elle, ne ment pas. Elle apprend l’humilité. Je peux dire même qu’elle vous descend constamment de votre piédestal et ceci quelle que soit votre réussite et à toutes les étapes d’une carrière. Tous les maîtres céramistes l’affirment et on a toujours un pincement au cœur quand on ouvre son four car c’est la surprise, bonne ou mauvaise. Même en connaissant parfaitement tous les paramètres, la terre nous surprendra toujours. Et pourtant on fait le même geste, le même dosage mais il suffit d’une bulle d’air par exemple pour tout reprendre.

Il est important de reconnaître l’œuvre du céramiste, notamment quand elle est faite à quatre mains. Je suis sidéré quand tout ce travail reste dans l’ombre, et qu’on oublie de citer l’artisan qui l’a réalisé. Cette reconnaissance est fondamentale, sachant qu’il se met délibérément au service d’un projet alors qu’il peut consacrer ce temps à sa création personnelle. Qu’il soit respecté et reconnu pour l’œuvre commune afin de continuer la collaboration qui, dans ces conditions, sera formidable et pleine de succès.

Mon souci aujourd’hui est de transmettre ce savoir-faire et y donner du sens. Pour des jeunes passionnés, comme il est important d’avoir un bon maître d’apprentissage, qui puisse croire en leur potentiel et leur révéler leur don manuel qui se déploie dans ce métier ! Mais j’encourage mes élèves à toujours doser. Il ne faut pas être ambitieux très vite et brûler les étapes indispensables de l’apprentissage. Il faut persévérer, recommencer, mettre du cœur à l’ouvrage. Puis, quand on a acquis la technique dans ses doigts, écouter ses désirs et laisser sa personnalité s’exprimer à travers son art. Alors, persévérance et passion conduisent à éduquer nos mains qui deviennent le plus bel outil de travail et apportent un plaisir permanent.

En conclusion, on devient authentique en donnant naissance à des objets et des formes de toutes pièces qui racontent la vie, la personne qui les fait et celles à qui cela est destiné. Par un tour… de magie ! ”

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 22 juillet 2017 – Tous droits réservés.

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