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Sylvie Facon

La créatrice des mille et une robes

Elle ressemble tellement à Shéhérazade : féminine, sensuelle et audacieuse, avec un savant mélange de douceur, d’humour et de franc parler qui étonnent et subjuguent à la fois. Puis on entre dans l’intimité de son atelier d’Arras. C’est là que Sylvie Facon crée ses 1001 robes, les plus belles, pour habiller ses clientes ou ses spectacles de son univers envoûtant et poétique. Avec un style dont elle seule connaît le secret et, à la manière d’un peintre sur sa toile, elle use de son imaginaire et libère les gestes créatifs pour oser des œuvres incroyables. Comme dans le conte, sa richesse du cœur nous émerveille et ce regard posé sur chaque femme, qui révèle leur beauté intérieure et communique la joie.

L’enfance à Arras

“Je n’ai pas le souvenir d’une enfance heureuse. Mes parents étaient âgés, issus d’un milieu modeste et je suis la benjamine d’une fratrie de quatre enfants.” Son père, gendarme mobile, était souvent en déplacement, et sa mère, autoritaire, avait sacrifié sa beauté et son intelligence pour une vie de famille. Tout ce manque d’harmonie marquera la petite fille sensible qu’elle est. Elle se réfugie alors dans le jardin familial, son coin de nature, pour s’évader et dessiner à longueur de journée. “On avait une encyclopédie « Tout l’univers » et enfant, je restais des heures à contempler les croquis des costumes d’époque.” Une scolarité sans histoire où elle est encouragée à choisir des études plutôt intellectuelles. “J’hésitais entre une terminale de philosophie ou artistique, la deuxième option étant improbable car elle impliquait une orientation dans le privé que mes parents ne pouvaient m’offrir.” Ses études vont être perturbées par une rencontre amoureuse. A 17 ans, Sylvie Facon part vivre avec son ami, alors étudiant, et commence à travailler pour assumer les frais du ménage. “J’aimais peindre et j’ai commencé à donner des cours de peinture sur soie dans des associations.” Puis, elle reprend ses études, dans les Beaux-Arts cette fois, et obtient un diplôme de peintre en lettres. Un foyer de jeunes travailleuses arrageoises lui propose alors un poste d’animation pour des ateliers créatifs. Elle a 20 ans. Là, elle repassera brillamment un équivalent du baccalauréat, puis le concours d’entrée à l’IUT jusqu’à l’obtention, trois ans plus tard de son DUT en Carrières Sociales, option animation sociale et socioculturelle.

Sociable et créative

“C’est là que j’ai exprimé mon désir de continuer” et elle obtiendra à 27 ans un Diplôme d’Etat relatif aux Fonctions d’Animation, exprimant ainsi pleinement ses qualités de leader et d’organisatrice. Au quotidien, Sylvie fait des merveilles, en mobilisant des personnes fragiles autour de projets plein de vie et d’enthousiasme. Elle participe aux carnavals de la ville avec des créations “pour que les filles vivent un moment à part, et c’est là qu’elle se met à coudre. “Je voulais faire de mieux en mieux chaque année, et puis je me suis vraiment prise au jeu.” Dans ses temps de loisirs, elle brode des pièces de plus en plus sophistiquées et cela devient une véritable passion.

“Un jour, une dame qui faisait partie du conseil d’administration, et qui avait été petite main chez un grand couturier, a proposé de me former : Tu n’as pas la technique mais tes spectacles, c’est tellement beau !” Avec elle, Sylvie va apprendre quelques techniques de base, comme tailler par exemple un vêtement dans le droit fil, ou poser un biais pour qu’il ne se torde pas, et aller encore plus loin en pratiquant d’elle-même avec une curiosité insatiable. “C’est surtout sa confiance et son regard qui m’ont aidée à croire en moi et penser à un après.” Les circonstances vont aussi l’y aider. Au final, Sylvie Facon travaillera dans l’animation sociale pendant 30 années, avant de s’installer à son compte en 2008.

Le succès et l’atelier

Durant toutes ces années de pratique, la talentueuse styliste s’était faite remarquée localement. Une troupe de théâtre pour faire leurs costumes, des amies pour leurs robes de mariées, et même la ville d’Arras pour habiller une lauréate d’un prestigieux concours national. “J’avais carte blanche pour créer une robe qui symbolise le pays d’Artois, et tout de suite, j’ai dit oui.” Le résultat est saisissant : une robe rouge et bleue avec des fleurs de lys et, peint à la main, les Maisons des Places sur un corselet, une jupe et une couronne de blé. Sylvie Facon va gagner le concours du premier costume folklorique de France auquel participait Christian Gasc, costumier renommé. C’est en 1998 et son nom fera le tour des médias.

“Alors, comme j’avais envie depuis un moment de faire une robe, à la manière d’un tableau de maître, je me suis lancée.” Les Baigneuses, dans un style prérapahëlite, sera composée dans les tons verts avec des nymphes peintes sur un décor d’étang et de sous-bois. “Je travaille toujours de la même manière aujourd’hui, en assemblant la robe comme sur une toile où les tissus deviennent des couleurs” : fusion du bleu pour l’eau et du vert de la jupette avec peinture sur soie de certaines parties, ajout délicat du tissu doré pour le rayon de soleil… un vrai travail d’orfèvre. “Il y avait donc le dessin central et tout le reste irradiait en couleurs par l’assemblage direct des matières.” Une composition comme si le tissu devenait la teinte du pinceau et une véritable œuvre d’art. Le succès à l’exposition est immédiat. “La conservatrice qui avait vu mon travail m’a demandée d’organiser un défilé dans le musée.” Et c’est lors de cette soirée que Sylvie rencontrera le dentelier Jean Bracq, qui deviendra un ami. “Depuis ce jour et grâce à cette rencontre, j’ai arrêté le costume pour faire des robes en utilisant la délicatesse de la dentelle de Caudry.” L’année 2008 sera décisive pour franchir le pas. Sylvie Facon se met à son compte et rapidement, installe son atelier dans la maison Robespierre à Arras, où elle exercera de 2011 à 2015, avant de déménager à l’adresse actuelle, rue du Presbytère Sainte Croix.

Les mille et une robes

Des robes sur-mesure pour ses clientes, créées autour de leurs formes féminines, en écoutant leurs moindres désirs ; c’est le travail de la talentueuse créatrice textile d’Arras. Et elle fait tout de A à Z, avec une approche créative singulière qui fait toute sa différence. “Je construis avec des bases de corset qui sont en tulles illusion.” Elle fait ainsi un moulage du corps en s’adaptant totalement à chaque morphologie. “Je veux mettre en valeur leurs atouts : un physique mais pas seulement, leur personnalité aussi, pour qu’elles soient encore plus belles.” Travailleuse acharnée, Sylvie consacre aussi le reste de son temps à ses robes tableaux, parfois avec 300 heures de travail chacune sur quinze jours d’affilée. La robe devient là un prétexte, un véhicule de communication, pour exprimer un imaginaire fantastique et poétique qui s’apparente beaucoup à la mode steampunk.

“On est vraiment dans le rêve, avec des robes intemporelles portées par des femmes idéales qui ont chacune une personnalité différente.” Révéler l’esthétisme des objets du quotidien est aussi sa marque de fabrique. Elle a créé une robe « Hommage au violon », ou « aux livres » avec des couvertures de manuscrits dans une robe magistrale de 40 mètres d’ampleur dans le bas, ou encore « Hommage au temps », faite en quelques jours seulement avec un cadran solaire sous la jupe, un sablier, des rouages et des aiguilles dans le dos, ou à la nature, selon son inspiration du moment comme la robe végétale ou celle en paille et en dentelle. Bientôt, l’artiste envisage aussi de créer une robe en porcelaine pour rendre hommage au Bleu d’Arras. Deux livres sur son travail ont déjà été publiés : « Fil, rêves & volupté » et « La vie rêvée des robes ». Un troisième est en projet. Puis l’ouverture à l’international. Sylvie va travailler en 2019 pour irlandaise, une californienne, une New Yorkaise, une anglaise et même partir en Iran une semaine pour donner des cours dans une prestigieuse école de haute-couture. “Je ne prévois rien et je me laisse guider par ce qui vient !”

Une belle philosophie qui est la sienne, à l’image de l’intégrité et des valeurs de transparence, d’engagement et de courage qu’elle incarne. Sylvie Facon a vraiment tout de cette héroïne populaire qui use de son imaginaire, ses qualités humaines et son talent pour apporter du rêve aux autres. Ses spectacles sont saisissants de beauté et de vérité. Conteuse captivante de créations textiles, elle se dévoile aussi en peintre d’œuvres d’art, pour libérer les énergies et adoucir les cœurs. Une étoile filante dont l’histoire se poursuivra donc pour de longs jours et nuits !

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre 1er décembre 2018 – Tous droits réservés.

Lien vers le site de Sylvie Facon

Galerie photos de Sylvie Facon

L’authenticité selon Sylvie Facon, l’ode à la féminité

Sylvie Facon

“ Le vrai luxe c’est d’avoir le privilège de vivre de sa passion et pouvoir créer au quotidien, à la fois des pièces, mais aussi les contours de son métier. On a alors une immense liberté pour devenir de plus en plus nous-mêmes, par ce qu’on est et ce qu’on fait ; les deux étant reliés. Pour moi, la création textile est avant tout une histoire personnelle et un plaisir solitaire. En fait, je cherchais un moyen d’expression comme un peintre cherche une toile, et j’ai trouvé tellement plus riche avec le corps de la femme et tellement plus stimulant car il est en trois dimensions, avec du relief et jamais le même. Je fonctionne donc avec des défis à relever et à réussir, en trouvant à chaque fois des solutions créatives.

Le chemin vers soi est passionnant et évolutif, et l’on doit aussi accepter de ne pas tout comprendre, ni vouloir tout contrôler. Un exemple quand je ressens comme une évidence de passer d’une matière à une autre sans savoir pourquoi, ou qu’une matière en fasse naître une autre. Comme je fais cela instinctivement, je suis incapable d’expliquer mon style ou ma manière de procéder qui parfois me dépasse. Et c’est très frustrant pour moi de ne pas savoir définir ma signature. Alors j’observe et je vois bien que le public est ravi sans que je sache dire pourquoi ; cela m’étonne même par moment, mais j’ai fini aussi par l’accepter. Ils parlent de cette part de rêve. C’est vrai qu’une robe pour moi porte un message, et raconte d’abord une histoire. C’est peut-être ce qu’il faut retenir.

Mon objectif est de rendre les femmes encore plus belles qu’elles ne le sont déjà. D’ailleurs, il n’y a pas pour moi, de stéréotype de femme idéale, car elles sont toutes très belles, autant que différentes. Quand je fais une robe pour une personne – en fait, autour de cette personne, de sa morphologie et son projet, c’est donc une robe qui lui ressemblera. Elle ne rentre pas dans un personnage. Elle devient elle-même. Cet été, j’ai eu la joie d’accompagner une cliente pour son mariage et je l’ai vue se métamorphoser lors de nos rendez-vous, dévoilant sa beauté intérieure qu’elle cachait comme une protection, et osant devenir de plus en plus elle-même physiquement. Quelle émotion ce jour-là pour ses proches, son futur mari et elle-même ! Il s’agit donc d’être vraie, le plus possible, pour ce grand jour qui scelle l’espérance d’amour pour une vie. C’est pourquoi, je suis très reconnaissante pour celles qui viennent chez moi, car c’est une grande marque de confiance que de faire part à une styliste d’un projet aussi important dans leur existence.

Pour les robes tableaux, c’est différent. C’est un moment à part que je veux créer. Il ne s’agit pas d’embellir la vie ni d’être dans un conte de fée, mais dans l’univers poétique et féérique qui est le mien, avec une atmosphère lumineuse, ultra féminine et romantique. C’est comme quand on contemple un tableau ; on s’évade, on entre dans une expérience sensorielle où l’on peut contempler de la beauté : celles des courbes d’une femme, habillée de belles robes. Je vais donc rendre les choses esthétiquement belles, c’est vrai, en y passant des heures, avec mon tempérament d’hyper-perfectionniste. Pour les thèmes, c’est toujours quelque chose qui va m’inspirer : un objet comme le violon, une matière comme la porcelaine, ou une ambiance comme un champ de blé. La robe de paille et de dentelle est arrivée ainsi. J’avais eu une si belle impression de sérénité pendant l’été et je l’ai traduite en robe pour marquer cet instant d’éternité, de bien-être et de simplicité. Comme si je figeais ce moment, cette impression dans une robe, qui ne sera pas à vendre, mais sera un modèle d’exposition. Du coup, il y a moins de contraintes et c’est vraiment une robe picturale, un tableau portable en défilé et qui me sert d’outil de communication.

Autre point, les mannequins qui sont toujours les mêmes et sont devenues des copines. Ce sont des femmes ordinaires qui défilent de manière gracieuse et avec le sourire, car celle qui porte la robe est aussi importante que la pièce. Il faut un corps type ; qu’elle soit jolie mais pas éblouissante non plus, qu’elle ait une façon élégante de faire bouger la robe et cela suffit, car beauté d’une femme est aussi dans ce qu’elle dégage. Ce sont donc des spectacles, vrais moments de partage, de joie et de fête, ou les robes qui voyagent et s’exposent partout en France. L’année dernière, une sélection de trente robes sur le thème de la nature ont été exposées au musée de la dentelle de Caudry et cette année, ce sera en partenariat avec d’autres créateurs au musée de la dentelle de Calais.

En conclusion, c’est toujours l’ensemble qui fait l’authenticité. Une belle offre avec une belle robe, portée par une belle femme avec le sourire, et les invités qui se laissent porter par le spectacle dont je serais le peintre, avec des robes tableaux qui racontent une histoire. Ce métier en vérité, c’est mon arbre où je m’abrite, mon exutoire. Il n’y a pas de plus bel ancrage !”

 

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre 1er décembre 2018 – Tous droits réservés.

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