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La simplicité d’une grande assiette étoilée

Ils s’appliquent avec passion et détermination pour asseoir leur signature et leur identité dans la Maison Jeunet, restaurant-hôtel deux fois étoilé, au cœur du beau village d’Arbois. Le Chef, c’est lui, Steven Naessens, formé par les plus grands. Intuitif, guidé par ses sensations et poussé par l’excellence, il a le cœur à l’ouvrage pour inventer au quotidien une cuisine qui stimule nos sens et bouscule nos perceptions. Marjorie, c’est son épouse, pâtissière et hôtelière de formation, qui gère les menus détails et met en avant ce goût du naturel avec un mot d’ordre : la simplicité ; dans les assiettes, l’accueil et le partage pour une expérience qui veut s’ouvrir à tous, afin de célébrer le bonheur du bien manger.

Plus tard, je serai cuisinier

Steven Naessens est le benjamin d’une famille de trois garçons, et il est né en Belgique, et a grandi à Assebroek, non loin de la ville de Bruges. Dans la maison de campagne familiale, typique des Flandres, il y avait des poulets, des lapins et des dindes et il garde de son enfance le souvenir chaleureux de grandes réunions de famille autour d’un bon repas. “J’ai appris tout petit à bien manger même avec des petits moyens. Le dimanche midi, à table, on avait quatre sortes de légumes au moins, des croquettes faites maison et le lapin qui mijotait toute la matinée.” Très tôt, il sait qu’il veut devenir cuisinier, avec une détermination qui marquera les esprits. “Mon instituteur du primaire se rappelle que j’avais affirmé, à l’âge de 6 ans, vouloir faire plus tard ce métier, contrairement aux professions classiques auxquels rêvent les petits enfants de mon âge.” Ses parents vont l’inscrire à 14 ans dans la prestigieuse école hôtelière Ter Duinen à Koksijde où il restera pensionnaire pour 4 ans. “Une formation clé pour travailler chez les plus grands !” Car Steven aime la cuisine gastronomique, et a l’occasion de l’apprécier grâce à sa marraine. Ils avaient prospéré dans leurs affaires et aimaient en faire profiter toute la famille en allant manger dans des restaurants étoilés. Je me souviens particulièrement de mon cadeau d’anniversaire qui était un séjour en forêt noire.” Dans le restaurant de poissons « Le Savoy » à Knokke, il est émerveillé par les lieux et met pour la première fois, une veste de cuisine. Le moment de le porter toujours viendra en sortant de son école, et il démarre sa carrière aussitôt dans des grandes maisons : en Allemagne, puis en Belgique, chez le Chef deux étoiles Peter Goossens (aujourd’hui trois étoiles Michelin), d’Hof Van Cleve à Kruisthoum, avant de partir pour la France.

La rencontre avec Marjorie

Marjorie est également la dernière d’une fratrie, mais de trois filles. Elle est née dans le Cantal et a grandi près de Toulouse. Issue d’une famille modeste, son père était plâtier et travaillait dur pour s’occuper de son foyer. Avec ses sœurs, elle se met très tôt à la cuisine, et notamment la pâtisserie, “pour mettre de la joie et faire de bons gâteaux à déguster ensemble leur jour de repos. Et c’est ce métier qui l’attire, mais ses parents veulent absolument qu’elle pousse ses études au plus haut niveau. Elle va alors se former dans l’école hôtelière de Toulouse, alors qu’elle voulait rentrer directement en apprentissage. Lors de sa dernière année, elle sera imprégnée par l’un de ses professeurs, Jean-Luc Danjou qui était un MOF très rigoureux. “Ces études me servent finalement aujourd’hui pour toute la gestion.” De nature plutôt réservée et timide, un premier stage va la confirmer dans son choix. “C’était à 20 km de Cahors dans le Lot au Castel Rouge au Gindreau chez Alexis Pelissou, un restaurant Macaron Michelin.” Il la prend sous son aile et elle développe son goût de l’excellence. Puis elle aura une autre expérience déterminante chez le Chef Michel Sarran, en pâtisserie et cuisine. Enfin son rêve qui se réalise ! Elle va alors postuler à Clermont Ferrand, au Château de Codignat.

Steven était là depuis un an, et avait gravi très vite les échelons pour devenir chef de partie. “La France s’est imposée à moi comme une étape incontournable, si je voulais travailler dans la haute gastronomie.” En 2002, il quitte donc la Belgique dans sa petite Clio 2 portes, chargée à bloc de nourriture et de bagages, pour prendre son envol dans l’Hexagone. Avec Marjorie, ils deviennent vite amis, et vont manger dans des restaurants étoilés leurs jours de repos. “C’est comme cela qu’on est tombé amoureux !” Leur parcours en cuisine se fera désormais ensemble.

La Maison Jeunet

Ils vont venir travailler en 2005 chez Jean-Paul Jeunet, qui tient un restaurant-hôtel doublement étoilé dans le Jura. “Par hasard, car il cherchait du monde.” La « Maison Jeunet » a une tradition culinaire de plusieurs décennies et les Naessens s’y installeront définitivement quelque temps après. Il y aura une expérience d’un an à Marseille chez Gérald Passédat, au « Petit Nice », au moment du passage de deux à trois étoiles. “Cette année-là a complètement transformé notre regard ! L’amour et le respect du produit, la manière dont le Chef allait pêcher lui-même exactement le poisson dont il avait besoin, comme si la mer était son jardin privé.”Aujourd’hui, Steven Naessens reconnaît aujourd’hui en lui un maître, dont il a gardé l’approche très épurée, et l’art de cuisiner les poissons.

En février 2009, le couple revient à Arbois. Fougueux, Steven devient le second du Chef Jeunet, en apportant toute sa créativité au terroir jurassien. Il apprend l’apport de la faune locale comme les herbes sauvages, les champignons et les baies dans la cuisine, et propose les saveurs authentiques de la Maison, comme la poularde au vin jaune et morilles, ou encore la pomme de terre ratte aux truffes, Marjorie y est Chef Pâtissier. “Ce qui m’a marqué chez Jean-Paul Jeunet, c’est sa capacité à voir et révéler le potentiel de son équipe.” Exigeant, il va leur apprendre la constance qui est le secret pour se maintenir à un niveau aussi élevé ; aussi comment devenir un chef d’entreprise et gérer les relations humaines. En 2016, le Chef Arboisien part à la retraite et cède son affaire au couple Naessens. “On a toujours eu un énorme respect pour Jean-Paul et Nadine et pour leur cuisine. Ce lieu, c’était sa maison car il était né ici, et son père lui-même lui avait transmis cette passion. Cela s’est donc fait naturellement et ce fut pour nous un défi énorme à relever !

Le chemin vers les étoiles

Depuis, ils ont entrepris une rénovation de l’ancien monastère, avec notamment la réception, pour y introduire plus la lumière et mettre à l’honneur les pierres ancestrales. Marjorie s’occupe également de toute la partie administrative et la gestion de l’hôtel. “On a élargi les produits d’accueil et rajouté des prestations de service, en attendant de rénover les 12 chambres.” Ils ont aussi fait appel à l’artiste céramiste Pierre Casenove, pour créer l’ensemble de leur vaisselle en format unique, et toute la décoration en harmonie avec les lieux et l’esprit de leur propre cuisine qu’il osent désormais en gardant le nom de la Maison. Une cuisine où le légume est valorisé au plus haut niveau, avec la simplicité comme devise. “Je travaille un ou deux produits seulement, avec une épice ou une odeur aromatique, pour créer différents goûts et textures qui surprendront les papilles.” Le Chef Steven Naessens aime aussi déranger en prenant des légumes mal aimés ou peu connus, et des associations inédites, pour faire vivre une expérience sensorielle mémorable. “Le fenouil par exemple. Cuit sous vide, on va le couper en deux, puis on va le poêler et le re-confire dans un peu de beurre. Avec les chutes, on fera une purée pour avoir une variante, ou encore du jus et de la sauce autour du fenouil. On proposera aussi des tranches de fenouil cru car ce légume, en provenance de notre maraîcher, a vraiment une qualité gustative exceptionnelle.” Les endives, les petits pois… et à chaque fois, des recettes qui marquent les esprits. Récemment, il a lancé une mousse au safran avec de la farine de gaude, donc un dessert non sucré, “une pure inspiration car j’étais ému par l’histoire de ce couple qui cultivait cette épice. Pour Pâques, c’est l’agneau de lait des Pyrénées. En cherchant le légume d’accompagnement, le Chef a d’un coup la vision d’un chou pointu, et il sait déjà comment composer son assiette en jouant sur cette forme. C’est le chou qui a décidé ! L’inspiration est bien quelque chose qui nous dépasse…

La récompense est au rendez-vous, avec les deux étoiles Michelin maintenues depuis deux ans, pour leur cuisine d’exception. “Mais c’est deux fois par jour, que je remets ces étoiles en jeu, avec chacun de mes clients. ” C’est à présent le sens du devoir accompli pour ces deux passionnés, qui aiment performer sans cesse sur les chemins de la gastronomie et du bon goût.

L’on se sent comme chez soi quand on vient chez les Naessens, pour y vivre un moment privilégié. Cela tient d’abord à l’accueil de l’autre tel qu’il est, la générosité de leurs sentiments et la simplicité offerte en partage. Avec un fil conducteur : le désir de combler chacun et de surprendre, qui les pousse constamment au dépassement de soi. L’ouverture d’une brasserie au cœur d’Arbois leur permettrait un jour d’ouvrir encore plus largement leur art à cette convivialité si bienfaisante, autour d’un bon repas.

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 27 mars 2018 – Tous droits réservés.

Lien vers le site de la Maison Jeunet

Galerie photos de Steven et Marjorie Naessens

L’authenticité selon Steven et Marjorie Naessens, la saveur du goût en partage

“ La simplicité et le partage, c’est la base de tout, et c’est ce qui nous motive dans notre métier. Le plus beau moment que nous vivons ici, c’est quand nous faisons le tour de la salle et que nous voyons nos clients satisfaits et heureux. On a alors réussi à transmettre nos émotions et le pari est gagné ! Pour faire cela, il faut des produits de grande qualité et en même temps, un dénuement pour se laisser travailler par le produit lui-même, et non arriver avec nos idées préconçues qui masquent la vérité. C’est le produit qui nous guide. Et avec la matière que je vois, que je sens, je me laisse guider. C’est alors que la magie opère et notre création devient authentique car elle jaillit de manière inspirée. Avec l’expérience, j’ai cette faculté désormais de sentir les bonnes associations, avant même de les tester. Alors, quand cela aboutit, c’est la joie dans les cuisines et je suis comme un enfant qui fait la ronde de la victoire. Cuisiner est avant tout un mode d’expression personnel car nous partons de notre vécu, avec des envies nourries par nos expériences de vie, nos rencontres et la nature elle-même, avec le cycle de saisons. Mais c’est aussi un amusement, tout en mesurant l’importance de notre travail, car l’acte de manger est essentiel dans la vie humaine. On a donc cette chance incroyable d’avoir une reconnaissance directe, en donnant non seulement quelque chose de vital, mais du plaisir.

Notre cuisine est majoritairement à base des produits du Jura, une si belle région, à la fois sauvage et authentique, et nous avons beaucoup appris au contact avec les vignerons, les producteurs locaux et les éleveurs. C’est là notre source d’inspiration, et nos jours de repos, nous partons avec notre petite fille, marcher dans la nature et nous ressourcer au milieu de ces beaux paysages. On est alors apaisés pour repartir et donner le meilleur de nous-mêmes les jours de service. Le vrai luxe se trouve dans cet équilibre ; partager des moments simples en famille. On va, par exemple, improviser un pique-nique avec des tranches de pain de mie maison grillés à point et de belles tranches de jambon achetées en chemin. C’est aussi lorsqu’on se réunit autour d’une grande tablée avec la famille et les gens qu’on aime. On va cuisiner ensemble, tester des recettes, mettre du bonheur en partage : la blanquette de Steven, un petit plus dans la sauce finale… Ce sont là des moments inoubliables !

L’esprit de notre maison, c’est d’accueillir dans la simplicité et le partage tous nos clients, et qu’on se sente au final « comme chez soi ». Le plus beau compliment que nous avons reçu un jour, c’est de nous dire : « Il est 17 heures et nous sommes encore là. On se sent tellement bien ici. » C’est cette émotion que l’on veut susciter chez nos convives, et rien d’autre ! Tout est donc fait dans la simplicité : l’annonce des plats, le service, le placement. Il y a tellement de gens qui apprécient ce naturel ! On va également accueillir nos invités dans le respect mutuel, en honorant seule leur envie de s’offrir un bon repas. L’année dernière, nous avions par exemple régaler un groupe de randonneurs qui descendaient de la montagne, et qui voulaient s’arrêter chez nous pour partager un bon moment. Nous tenons aussi à démocratiser ce bien manger lors d’occasions spéciales. Nous participons par exemple au « passe ma main Malin » avec la région : un repas offert pour un repas acheté, valable sur notre premier menu du midi. Beaucoup de personnes sont surpris qu’un restaurant étoilé ouvre ses portes ainsi ; pourtant, c’est si valorisant d’avoir des clients qui peuvent s’offrir ce plaisir une fois par an. Le luxe authentique c’est cela : être servi avec la même prévenance quels que soit notre apparence, notre statut ou nos titres et permettre à des personnes peu aisées de s’offrir un repas gastronomique. C’est pourquoi, l’un de nos rêves serait d’avoir un jour un bistrot, juste à côté, où l’on pourra proposer le meilleur des plats typiques pour moins de 15 euros. Quelle joie en cuisine d’avoir alors tout ce monde réuni, de toutes les classes sociales !

Dans notre métier, il faut une constance et une qualité irréprochable, car nos émotions passent dans l’assiette. C’est pourquoi, le moment où je passe la porte de la cuisine, je suis dans un autre monde, et là, avec toute l’équipe, on donne le meilleur de nous-mêmes avec une grande exigence. On n’a pas assez remercié nos équipes. C’est comme un corps humain : les cuisiniers sont le cœur, et tous les autres contribuent chacun à leur place pour que l’ensemble fonctionne. Et on a besoin de se challenger sans cesse et vouloir aller toujours vers plus d’excellence. Nous sommes aujourd’hui sereins et confiants, car nous savons que c’est notre cuisine personnelle que nous proposons enfin, et qu’elle évoluera dans le temps. L’authenticité au final, c’est vouloir ne ressembler à personne d’autre qu’à soi-même, car chacun de nous est unique. Et la vraie récompense, c’est de continuer notre chemin avec cette envie-là, et que nos hôtes nous disent : on n’a jamais vu cela ailleurs ! ”

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 27 mars 2018 – Tous droits réservés.

Lien vers le site de la Maison Jeunet

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