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Le joaillier poète qui magnifie le monde

Son sourire d’une rare douceur et l’hypersensibilité de son regard vous accueillent dans sa boutique galerie du Marais. Votre histoire, vos désirs et vos envies, vos bijoux aussi, tout est posé là, dans une réceptivité instantanée. Thierry Vendome est un artiste-joaillier à part. Profondément humain et humble, il fait penser à la terre – minérale et végétale, qui reçoit et capte tout pour reproduire la beauté en retour. Maniant son art avec talent et poésie, ses œuvres sont saisissantes de vérité et d’émotion, sortant du cadre à chaque fois pour sublimer, avec des matières et des formes, le monde d’aujourd’hui. Toutes les formes, les plus rares et les plus précieuses, mais aussi celles que personne ne regarde, comme la rouille, qui trouve à ses yeux la première place et dans ses doigts de fée, l’expression d’une ode esthétique à l’existence, au mouvement et à la vie.

A la bonne école avec le père Jean

Thierry est le fils de Jean Vendome, le père de la joaillerie contemporaine. Illustre héritage qu’il assume avec fierté, mais sans une once d’orgueil. “Mon père est quelqu’un à part, avec un fort caractère et une empreinte qui restera unique au monde.” De renommée internationale, Jean est en effet considéré comme le pionnier de la joaillerie moderne, ayant dès les années 1960, introduit le tout premier, les principes esthétiques de l’abstraction à l’art du bijou. Décoré officier de l’ordre du Mérite puis chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, il accumule les récompenses et les prix les plus prestigieux et expose ses créations partout dans le monde. Thierry va grandir avec son frère aîné dans cette famille de joaillier, en étant fortement influencé par Jean, l’avant-gardiste qui renverse les codes de l’époque. “J’ai appris avec lui à considérer le bijou comme une œuvre d’art, une sculpture miniature qui se porte. Aussi, à lui donner une forte valeur expressive, en l’actualisant dans son temps.” D’abord boulevard Voltaire, la boutique s’installera dans le quartier chic de la rue Saint-Honoré, dont il gardera une nostalgie particulière. “Je n’avais qu’une hâte, c’est quitter l’école pour retrouver mon père dans ce beau quartier historique et animé de Paris”. A l’âge de 16 ans, son vœu est exaucé et il commence à apprendre le métier avec Jean Vendome, bien loin de l’académisme des écoles de bijouterie ou de Beaux-Arts. “Mon apprentissage a duré 6 ans. En travaillant j’ai appris tous les codes de travail. J’ai appris à créer.” Il restera 23 ans au final aux côtés de son père, pour le seconder et lancer ses propres collections.

Trouver son identité personnelle

L’artiste reconnaît “qu’il a bien fallu une dizaine d’années de pratique avant de trouver la joie pour une création vraiment libre et personnelle.” A la Hague dans sa maison familiale, son regard contemplatif se porte d’emblée sur les matières et les formes trouvées sur les rivages. “Je ramassais les matières brutes et naturelles, et j’étais attiré par les bois d’échoueries, véritables sculptures de la mer”. Dès l’âge de 20 ans, il commence à monter ces coquillages, galets et même les verres transformés par les vagues, en bijoux. Il lance avec succès une collection de colliers en bois flotté, en or et en argent. “Mais je cherchais toujours, car ces matériaux n’étaient pas pérennes dans le temps, étant trop friables et trop fragiles.” Cette quête lui permet de gagner la conviction d’avoir trouvé là sa voie. “Transformer en bijoux ce que personne ne veut regarder. Des objets non utilisés, des objets sales, qu’on trouve jusque dans les poubelles.” Puis juxtaposer des matières opposées pour sortir de l’académisme et du classicisme de la joaillerie. Du profane et du sacré, de l’ancien et du moderne, de l’altéré et du précieux… Son père a introduit le style abstrait et l’apport des minéraux et des cristaux dans la haute joaillerie. Thierry veut franchir un pas de plus dans le renouveau et l’approche de son métier d’art. “Car la valeur d’un bijou, c’est avant tout l’œuvre esthétique en elle-même et non la valeur de la matière première seule. Et on peut trouver une beauté dans tout, y compris les déchets de la société.”

Des trésors marins aux trésors de rouille

Il aura une nouvelle révélation en se promenant un jour dans les dunes de Normandie. “J’ai vu apparaître des éclats d’obus de la dernière guerre (car c’était un ancien terrain d’entraînement militaire). Et j’ai pris cette matière, l’acier oxydé- la rouille comme on dit, que j’ai trouvée extraordinairement solide et d’une beauté incroyable.” Thierry va les assembler avec de l’or, des diamants et de l’opale, “la pierre fluorescente qui transporte sur les rivages marins”. Il lance alors avec audace sa première collection de bijoux en rouille, qui sera un grand succès, y compris dans la presse. Surnommé “le ferrailleur de la joaillerie” par les gens de la profession, le fils de Jean trouve là enfin sa matière de prédilection pour exprimer tout son art et jouer avec les formes, les couleurs et les pierres pour des parures pleine d’audace, de contraste et d’émotion. “La particularité du toucher et de la couleur de la rouille me fascine et son alliance avec les matières nobles est extraordinairement riche”. En 2003, il prend son indépendance et s’installe dans un atelier galerie du Marais à Paris. Là, il crée à la fois dans des pièces uniques, des collections en série limitée, mais aussi du sur-mesure pour tout type de clientèles : “Des gens célèbres comme des clients très simples. De la bague de mariage pour un jeune, à la transformation de bijoux de famille en nouvelles pièces portables, qui reflètent notre temps et la personne qui les portera.”

La nature et l’exotisme, sources d’inspiration

Poète et contemplatif, Thierry Vendome crée aussi des collections en s’inspirant des lignes et des thématiques observées dans la nature et durant ses voyages. L’artiste vit une relation particulière avec le minéral bien sûr, mais aussi tout ce qui vit, végétal et animal. “La nature m’a ouvert des voies créatives et permis de concrétiser mes rêves les plus fous. Je ne la remercierai jamais assez pour tant de générosité”. Il y capture une pierre qui le touche, un paysage, une géométrie vivante, une rencontre insolite pour en faire un bijou en l’associant à la matière. L’artiste recherche aussi l’exotisme. Sa terre d’inspiration est l’Arménie, de ses racines familiales, et qu’il affectionne particulièrement pour son accueil et sa Foi. Il va lancer toute une collection “Aygedsor” en hommage aux vallées des vignes. “Chaque pièce exprime une émotion unique comme ce collier d’or jaune, avec tourmalines, turquoises et diamants, inspiré par le mouvement des treilles de vignes, comme on en voit beaucoup en Arménie ; tout ce beau désordre, ce délicieux chaos…”. Il montera aussi des collections suite à ses voyages en Chine, en Afrique et aux Etats-Unis et une collection récente avec un esprit “sauvage et brut” inspiré par les racines et les écorces naturelles. “Je vais dessiner une idée qui me vient ou une forme qui me saisit sur mon calepin. Puis vite, il faut que je réalise l’objet avant que l’envie ne part. Je peux aussi partir d’une couleur, d’une pierre… alors la création vient en suivant la forme.” Le joaillier reconnaît pourtant que sa plus belle œuvre reste à ce jour une épée d’académicien. “Un bijou extraordinaire que j’ai eu beaucoup de plaisir à réaliser car on doit sculpter tous les symboles de la personne sur une poignée.”

Thierry Vendome est aujourd’hui un homme comblé et serein, qui aimerait encore relever d’autres défis : “créer librement une collection pour un grand joaillier de la place Vendôme par exemple, pour leur apporter ma touche personnelle en gardant leur style”. En attendant, il y a ce voyage imminent et prometteur au Japon, où il puisera de nouvelles inspirations, pour les exprimer de nouveau avec originalité et audace, en associant des matières et des formes que tout oppose pour une alliance singulière qui révèle une fois de plus que derrière chaque bijou, il y a une émotion, une allégresse, une célébration qui saisit la beauté intemporelle du monde.

Interview réalisée par Carine Mouradian à Paris, le 5 avril 2017

Lien vers le site de Thierry Vendome

Galerie photos de Thierry Vendome

L’authenticité selon Thierry Vendome, l’artiste qui invente une joaillerie moderne

“L’authenticité s’obtient en revenant à l’essentiel. Dans mon métier, c’est en travaillant qu’on peut maîtriser les codes et c’est alors seulement qu’on apprend à créer. Et j’ai appris le travail à la main, de manière très classique, très artisanale. On utilise les veilles limes, les porte-scies, et c’est important pour le résultat qui n’a rien à voir avec les produits industriels dans leur conception et leur fabrication. Il faut une bonne dizaine d’années pour être une bonne main et alors seulement, on peut réaliser toutes les idées qu’on a. Mon expression personnelle a pu ainsi s’épanouir dans le temps car j’avais toujours à cœur de travailler d’autres matières que les minéraux et les cristaux seuls. Je voulais introduire des objets non utilisés, et qui n’ont pas de valeur, alors qu’ils peuvent trouver pleinement leur place dans une parure de bijou.

On pense encore à tort que la joaillerie c’est de vendre uniquement des objets qui sont très chers : des diamants et des pierres précieuses, alors que des fragments de rouille, par exemple, sont une source incroyable de création. Elles ont une puissante beauté sauvage, un aspect brut et elles sont solides et légères. C’est un plaisir pour moi de les associer par contraste à des matières précieuses et justement, de se faire côtoyer le précieux à l’altéré, le désiré au délaissé comment le diamant et la rouille. Pour moi, l’esthétique compte donc autant que dans une œuvre d’art. Pour un photographe par exemple, ce n’est pas le papier qui a de la valeur, c’est le choix de sa photo. Pour un peintre ou un sculpteur, c’est la même chose. Et pour que cette représentation dans la joaillerie compte autant, il faut que l’œuvre, l’objet en lui-même, ait une valeur artistique. Je suis tellement déçu, voire choqué, quand on choisit aujourd’hui un bijou, non plus pour son esthétisme, ni même pour sa valeur, mais pour le sigle de la marque de joaillerie qui s’expose… Et que dire de l’hégémonie de marques industrielles qui ont pris une telle place alors que ni les matériaux, ni l’œuvre n’a de valeur… C’est seulement pour offrir ou porter la marque.

On a beaucoup de mal à parler de cette valeur esthétique aujourd’hui, car c’est passé de mode. Si on revient sur l’histoire ; dans l’art nouveau, René Lalique a su transposer l’art du moment, sorti du japonisme. Puis on a travaillé l’abstraction avec l’art déco pour sortir du figuratif et avoir des formes géométriques qui restent très cadrées. Et c’est seulement après la guerre que l’art du design a enfin apporté une grande liberté d’expression. Mon père a été le pionnier de ce bijou contemporain, ayant l’idée de créer des formes esthétiques nouvelles, qu’elles soient design, baroques, ou asymétriques. Or, on a tendance aujourd’hui à mettre l’accent sur le discours derrière l’œuvre, l’histoire à raconter, et qu’elle soit même un peu trash… Je sais faire tout cela mais je reste très attaché à la valeur esthétique d’un bijou car c’est elle qui donne du sens à la création artistique. Et je veux rester authentique plus qu’être à la mode. Quand j’ai une inspiration, une perception, un objet qui m’interpelle, alors j’exprime cela par de nouvelles formes abstraites qui sont belles en elles-mêmes.

Etre vrai c’est aussi accepter et montrer sa différence dans son art. J’ai eu beaucoup de chance d’apprendre et de travailler la joaillerie avec mon père Jean Vendome, qui a toujours voulu sortir des sentiers battus. Je suis atypique dans mon métier, car j’aime innover. En joaillerie, certaines maisons restent encore, à mon goût, trop académiques, dans une tendance que j’appelle « conservatrice », s’inspirant de l’esprit « du goût français » que l’on peut retrouver dans le style 18ème siècle. Je pourrais donner en exemple la bague dite marguerite, où une jolie pierre sertie de griffes est entouré dans une symétrie parfaite par des diamants plus petits… Pour ma part, je considère un bijou comme une sculpture portée sur un corps ; Elle doit donc apporter quelque chose d’unique, au-delà d’une simple parure. De plus, elle reflète la vie qui est faite de mélange et de juxtaposition. Je retrouve donc tout cela dans mes créations avec des pierres, des formes et des styles que tout oppose. Il est donc important d’être toujours sincère avec son travail. C’est aussi pour cela que je crée des collections de bijoux inspirés de l’époque où je vis. J’ingurgite tout : l’architecture, l’automobile, la musique que j’écoute … et le ressort en bijoux. Je suis donc le créateur de mon époque.

Il faut aussi être à l’écoute de la demande et l’évolution de la société. Or il y a un grand problème aujourd’hui dans ma profession qui est le cambriolage ; Les clients veulent des bijoux qu’ils peuvent porter tout de suite, mais sans attirer le regard, sans éclat. Ils ont une véritable phobie à porter de la joaillerie, et c’est dommageable pour notre profession. Alors, il faut aussi faire autrement. L’œuvre a une force artistique en elle-même et non par les pierres qui sont dessus ; Je crée donc des pièces avec des fils barbelés, du métal, de l’or noir, mélangé à du rhodiage noir. Cela ne fait pas très précieux et en même temps, c’est une pièce esthétique et qui correspond à leur style. Il y a aussi une évolution dans la relation aux bijoux de famille. Avant, on les gardait et on les transmettait comme une dote. La valeur n’était pas de les porter mais de les posséder en cas de manque d’argent. Aujourd’hui, les clients veulent mettre ces bijoux à condition qu’ils soient personnalisés et portables. Ils recherchent le sur-mesure et une histoire à raconter. Je récupère donc leurs fragments de bijoux et j’en fais autre chose ; souvent, des pièces plus sobres, plus design, plus brut…

En conclusion, ce métier est agréable à partir du moment où fabriquer devient un plaisir. On devient de plus en plus soi-même quand on réalise l’idée géniale que l’on avait en tête ; C’est là la magie de mon métier. C’est rare que de pouvoir commercialiser son idée entre mon calepin, l’atelier derrière et la vitrine devant, puis de voir devant moi le bonheur des gens. Ma fierté est alors de voir cette pièce portée. Mes clients deviennent des ambassadeurs et mes bijoux partent dans le monde entier. Ma vie est très linéaire finalement car c’est une continuité pour moi de travailler le bijou, comme d’être fils de joaillier.”

Interview réalisée par Carine Mouradian à Paris le 5 avril 2017

Lien vers le site de Thierry Vendome

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